Chers
amis,
J’avais
une prof. au séminaire rabbinique qui refusait de participer à la cérémonie de
Tachlikh, en disant que c’était de l’idolâtrie. Je pense qu’elle voulait dire
que les sources anciennes ne parlent pas de cette cérémonie, et la source du
Minhag vient probablement d’une coutume chrétienne du XIV° siècle, que les
ashkénazes auraient adopté au XV°, puis les séfarades par la diffusion des
enseignements de Rabbi Hayim Vital, un des cabbalistes de Safed au XVI°.
D’après
les quelques recherches que j’ai effectuées rapidement hier, il existe encore des
communautés ou des individus qui refusent de pratiquer Tachlikh pour des
questions idéologiques. Je comprends leurs arguments, même si à titre personnel
je trouve que cette tradition ne fait pas de mal, et qu’elle peut même faire du
bien au niveau symbolique, en matérialisant les fautes commises et les attitudes
négatives, et en permettant de s’en débarrasser le plus loin possible, vers un
endroit d’où elles ne reviendront jamais (les profondeurs de la mer).
Ce
qui est mal vu par la tradition juive, c’est de jeter des objets à Tachlikh.
Parce que matérialiser spirituellement, conceptuellement, c’est possible, mais
pas avec un nombre précis d’objets. Je vais à la mer pour ressortir/recracher
tout ce qui me pèse sur la conscience, mais si je jette 1,2 ou 4 cailloux…
j’affirme que j’ai autant de fautes que de cailloux. Or si on commence comme
ça, tous les grains de sables de la plage n’y suffiraient pas.
A
Roch Hachana, comme pendant le mois de Eloul et les dix jours qui précèdent Yom
Kippour, les juifs pratiquent le Vidouï : l’affirmation qu’ils ont fauté
et une énumération convenue de toutes les fautes possibles, avec la possibilité
d’en rajouter quelques-unes à titre personnel.
Mais
les juifs ne comptent pas leurs fautes. Cette entreprise n’est pas à
taille humaine. Sans compter l’impossibilité de comptabiliser les fautes dont
nous n’avons pas conscience, soit parce qu’elles nous sont cachées
(involontaires), soit parce que nous ne savons pas qu’elles sont des fautes.
L’entreprise
de comptabilisation des humains et de leurs actions est l’apanage du divin.
Dans le langage de la Michna :
משנה מסכת ראש
השנה פרק א משנה ב
[ב] בארבעה פרקים העולם נידון בפסח על התבואה
בעצרת על פירות האילן בראש השנה כל באי העולם עוברין לפניו כבני מרון שנאמר
(תהלים ל"ג) היוצר יחד לבם המבין אל כל מעשיהם ובחג נידונין על המים:
« A
Roch Hachana tous les êtres vivants passent devant lui comme des Bnei Meron… »
Qui sont les Bnei Meron en question ? Du bétail, des moutons etc. Avant
qu’on réalise que ce n’était pas un mot hébreu mais bien un mot grec numeron
qui donnera en français « numéro » ou bien « nombre ».
Les êtres humains ne comptent pas, ils sont comptés. Mais
cela ne veut pas dire que nous ne sommes que des numéros, au contraire !
La Michna insiste sur le fait que chaque être vivant est important aux yeux du
créateur. Chaque homme ou femme compte. Etre présent à Roch Hachana, c’est
réaliser que quelle que soit l’immensité de la création, nous comptons pour
quelque chose puisque nous y avons une place.
J’insiste lourdement sur cette notion de compte, et c’est
la richesse du français qui me permet de faire passer un message. En français
le verbe compter peut se conjuguer comme un verbe intransitif (compter quelque
chose) ou avec un adverbe (compter pour, ou compter sur).
Ce que nous pouvons (et même devons) compter à Roch Hachana,
c’est le temps qui passe, les jours et les années.
Mais la Torah, et principalement le livre des Nombres, considère
comme un tabou le dénombrement des hommes, qui attire le mauvais œil ou donne
trop de confiance en la force. Ainsi, chaque fois qu’il y a un recensement, il
y a soit expiation par une taxe qui va servir à se racheter (comme le
demi-shekel) ou bien un malheur qui suit directement (une épidémie à l’époque
du roi David).
Néanmoins il existe un compte qu’on est autorisé à
pratiquer, sous certaines conditions, car il est nécessaire pour la liturgie.
Vous voyez où je veux en venir, il s’agit du Minyan.
Personne ne sait d’où vient que l’on doive être 10 pour
prier en public. Comme vous le savez sûrement, le Talmud prend cette notion
comme une donnée de base et cherche à lui trouver une preuve dans la Torah, en
parlant des explorateurs, et cherche à justifier la pratique qui veut qu’on ne
compte que les hommes. Mais ce n’est pas de cela que je veux parler ce soir.
Ce que je veux dire, c’est que Roch Hachana est aussi
l’occasion de faire un véritable examen de conscience (Hechbon Nefech) pas pour
compter ses fautes, mais pour se demander si on peut véritablement compter sur
nous.
Le minyan est une chose incroyable, puisqu’elle oblige
chacun à être investi d’une mission : faire partie de l’ensemble, une
partie nécessaire et indispensable puisque sans chacun des membres la totalité
s’effondre comme une construction à laquelle on enlève une brique.
Pour compter dans le minyan, il n’y a rien à faire, à
part être présent et répondre à certains endroits de l’office. Et c’est déjà
beaucoup, car sans minyan il n’y a pas d’office. Tout cela vous le savez déjà.
Et pourtant, qu’il me soit permis en ce second jour de
Roch Hachana de poursuivre un exercice initié l’année dernière un peu
maladroitement : hechbon nefech, un examen de conscience
communautaire.
Je ne crois pas que la notion de Minyan soit bien
intégrée par la plupart du public de Maayane Or, même si certains, parmi les
convertis, se sont battus pour être comptabilisés dans le minyan, ou d’autres,
parmi les femmes, ont conquis à force de ténacité le droit de compter
dans le minyan. Ce qui n’est pas bien intégré, à mon sens, c’est que ce droit,
comme tous les droits, induit automatiquement un devoir et une responsabilité.
Un devoir avant tout vis-à-vis des autres : ceux qui
veulent ou doivent réciter Kaddich en souvenir d’un proche décédé, ceux qui
sont venus avec l’intention d’écouter la lecture de la Torah avant une certaine
heure, ceux pour qui le chabbat ou les jours de fête ne sont pas une occasion
de se lever tard et de flâner mais bien une occasion d’accomplir son devoir le
mieux possible.
Une responsabilité car une synagogue ne vit pas qu’avec
des adhérents qui envoient des chèques par la poste. Elle vit de ceux qui la
font vibrer et respirer jour après jour. Certains ont parfois l’impression que
la synagogue peut bien se passer d’eux, et que l’office aura lieu de toute
façon. Sauf que rien n’est moins sûr.
Je raconte souvent l’anecdote de la rue où j’habitais à
Jérusalem : pour attirer les hommes qui passaient dans la synagogue pour
Minha, le Gabbaï sort sur le trottoir et crie « assiri,
assiri ! »(On attend le 10ième !) Sachant qu’il est
le dixième, aucun passant ne peut refuser d’entrer, car à cause de lui la
prière n’aura pas lieu. En entrant, le passant naïf a la surprise de
découvrir qu’ils ne sont que 3 ou 4 ! Mais on lui répond par une phrase
aussi logique que définitive : « avec toi, ça fera 10… ».
De même, aucune personne élevée avec la conscience de
l’importance d’un minyan ne se permettrait de sortir d’une synagogue, quelle
que soit l’urgence de ses occupations, sans s’être assuré qu’il y a
suffisamment de personnes pour que l’office se poursuive sans elle ou lui.
Très fréquemment, j’entends des gens qui me posent la
question : à quelle heure est-ce qu’on sort la Torah demain ? Je
décode : « je trouve l’office du matin long et ennuyeux, je n’ai pas
la patience, et je ne me sens pas concerné par la Halakha qui demande de
réciter le chéma avant une certaine heure de la journée. La seule chose
qui m’intéresse est de découvrir le texte de la paracha et les commentaires qui
vont avec. » Ici je tiens à préciser que je comprends très bien cette attitude,
que je la respecte, et que je ne suis pas en train de culpabiliser qui que ce
soit. Je suis simplement en train de vous dire que la seule réponse possible à
la question « à quelle heure on sort la Torah ? » est :
« quand vous voulez ». Puisqu’on ne peut sortir la Torah qu’en
présence d’un minyan, et que pour avoir minyan, on vous attend… et le serpent
se mord la queue.
Je me livre à cet exercice parce que je crois que pour
aller de l’avant il faut parfois se dire les choses franchement et accepter de
les entendre, comme on peut le faire dans une vie de couple, pour mieux avancer
et continuer ensemble.
Je suis donc à l’écoute pour faire évoluer les offices et
les rendre plus attrayants, plus interactifs, plus intéressants, plus
mélodieux. Mais ce qu’il ne faut pas oublier c’est qu’à l’origine une synagogue
n’est pas un lieu où l’on vient se distraire, se changer les idées ou
« consommer du divertissement ». C’est au contraire un lieu où l’on
vient régulièrement pour faire des efforts, se concentrer, apprendre, évoluer,
et apporter aux autres sa présence.
Dans une synagogue, chacun compte, et c’est la
responsabilité de la communauté de le faire ressentir à ses membres. Mais
l’inverse est aussi vrai : la communauté doit savoir qu’elle peut compter
sur chacun pour continuer à vivre et se développer.
Chana Tova !
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