Deux
parachiot clôturent ce 4ème et avant-dernier de la Torah BEMIDBAR,
-AU DESERT-, nommé ainsi car tout se construit sur un espace et un temps
certes vides mais aux potentialités indemnes.
Ce
shabbat il est question, entre autres, des contraintes qui entourent la formulation
d’un vœu, d'un serment. Nul n’étant maitre du temps sinon Hachem,
nul ne peut se permettre d'affirmer son désir, sa volonté dans l’avenir. Ce serait faire
outrage à Dieu.
Ce
même Dieu qui ici n’est pas très tendre, à l'instar de Moche, et qui exige la
destruction de tous les Madianites, peuple qui, selon la Torah, corrompt et fait
pécher Israel. Comme le commente Rachi : « Celui qui se lève contre Israel est à considérer comme s’il se levait
contre Dieu ».
Cette
sidra est aussi celle qui décrit de façon très brève, comme ça, en passant, sans
en avoir l'air, la mort de celui qui a accompagné Moche depuis le début de
cette aventure de libération, la fin de son frère Aaron HaCohen, à l’âge 123 ans ! Le texte ne s’y attarde pas.
Pas de culte à ce grand personnage.
Puis
il y a le thème que j’ai choisi : celui qui sous-tend la pensée juive dans
tous les domaines et qui peut se résumer dans ce verset biblique : « j’ai mis devant toi la vie et la mort.
Choisis la vie afin que tu vives » et qui peut s’interpréter
ainsi : dans n’importe quelle situation, n’importe quel lieu, dans tout
comportement humain, le Juif doit privilégier l’élan, le mouvement en opposition
à la fixité, l’idolâtrie, la mort.
Depuis
Abraham, nous obéissons à l’injonction d’aller de l’avant, « lekh lekha »
Depuis
la Révélation du Sinaï, nous suivons une règle qui marche, la « halakha »
Depuis
nos origines, nous construisons en permanence le « temps », comme nous le déclare Abraham Heschel.
Ce
soir, dans notre paracha, nous sommes aux portes de la Terre de la Promesse
après une traversée du désert de 40 ans (le 1/3 de la vie de Moche). Et que se
passe-t-il ?
Au
seuil de cette Terre phare de tout un peuple dans son épopée, tout près de la
réussite, deux chefs de tribus israélites font part à Moche de leur désir de
rester en deçà du Jourdain, de s’y établir, femmes, enfants et troupeaux……….
Moche ne comprend pas… Sa narine frémit. ……..
Il
ne peut concevoir l’immobilisme : il est prophète, il construit sur le
temps qui lui parle de ce qui est devant lui, de l’a-venir. Ces hommes, ses frères, sont bien d'accord
pour livrer combat mais ils établiront leurs campements sur cette rive-ci du
Jourdain. Moche donne alors son accord tout en rappelant le projet et l’itinéraire
des Bne Israel dans le désert, ce chemin de liberté, cet espace « entre
deux », où rien n’est définitif, où ce qui semble être une errance est au
contraire un parcours initiatique où chaque hébreu se refait lui-même,
intérieurement, son propre chemin. Et il faut du temps et de la volonté pour ce
travail intérieur où se succèdent les échecs !
Avant
de conclure une étape d'une part et avant la conquête décisive d'autre part, il
convient de marquer une pause et revisiter son passé pour que celui-ci, devenu expérience
et non plus charge pesante, fasse profiter le devenir. C’est pourquoi Moche,
sur ordre d’Hachem, inscrit toutes
les haltes, une par une, mais surtout tous les départs, du parcours des
B'nei Israel.
Je
dis surtout départs, pour revenir à cette idée maîtresse de la pensée
juive dont je vous parlais un peu plus haut : le refus catégorique, plein
et entier de tout ce qui peut être synonyme de fixité. J’en veux pour preuve, à
l’instar des commentaires de nos maîtres, que la description de la traversée du
désert se fait par phrases de quelques
mots, secs, sans mention du lieu d’arrivée mais au contraire, de celui du
départ (où on est forcément arrivé !). Chaque arrêt, comme un tiret sur une ligne
directrice en pointillés, est le point
de départ vers un autre lieu, en aucun cas un arrêt définitif. Il faut avancer, Dieu a fait la promesse d’un pays
où coulent le lait et le miel. Il faut y aller, il sera avec nous. Coûte que
coûte. L’injonction est présente à chaque station puisque c’est Dieu qui décide
de la destination et du temps à passer dans chaque lieu.
Celui
qui refuse, qui ne croit plus en la force de l’élan, du désir, qui ne veut plus
progresser est comme celui dont parle le philosophe Alain, » un homme assis ». Pas l’homme debout,
celui de la tephila et de celui qui
traverse les épreuves en assumant les leçons pour reparti plus riche et plus
fort.
Maintenant
me direz-vous, si le but du « voyage » c’est Eretz Israel, comment
concilier à la fois le mouvement et l’appropriation du lieu ? Il y a une contradiction …….Cela m'amène à
vous donner une définition, parmi bien d'autres, du sacré et du saint : le
sacré, c'est ce qui est absolu, total, intouchable ; le saint, c'est ce qui
exige des actes, donc du mouvement pour ne jamais s'arrêter. Par
conséquent, pas de terre sacrée mais une
terre devenant sainte par l'action des hommes.
Il
y a aussi une approche messianique proposée par nos sages à cette apparente
contradiction : d’Eretz Israel nous partirons, guidés, comme par Moche et Aaron
lors de la sortie d’Egypte, par les deux messies attendus, le fils de Joseph et
celui de David qui nous sortiront de la galout des Nations !
Et
pour celles et ceux pour qui ces idées
ne paraissent pas convaincantes, il reste la solution symbolique et
subjective : chacun traverse des crises sur son parcours de vie ; il
fait alors halte, rassemble son énergie et repart avec le ballot de son
expérience et de son travail sur son épaule.
Du
« Juif errant » tel qu’on
nous a nommés, nous affirmons haut et fort que nous sommes le « Juif en chemin ».
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