Vayichlah 5772 – Hanouka/diner du TT
Chers amis,
Le thème de la paracha de cette semaine, le récit qui occupe la majeure partie du texte est la rencontre entre Yaakov et son frère Essav. Comme nous l’avons lu ou relu la semaine dernière, les deux frères s’étaient quittés en mauvais terme (c’est le moins qu’on puisse dire) puisque Essav s’était promis de tuer son frère, à qui il en voulait de lui avoir « volé » sa bénédiction, de l’avoir « dépassé », « devancé » à deux reprises, pour la bekhora (droit d’ainesse) et la berakha (bénédiction). Le texte s’est ensuite attaché à nous faire suivre les tribulations de Yaakov, sa fuite, son arrivée dans la famille de sa mère, ses rapports difficiles avec son oncle Lavan, ses mariages successifs et la naissance de ses enfants. Nous l’avions quitté la semaine dernière alors qu’une fois de plus il fuyait, partait sans prévenir, craignant qu’une ruse de son beau-père le force à rester encore au pays d’Aram, ou à abandonner une partie de ses richesses. Dans la première partie de Vayichlah, Yaakov fait route vers sa terre de naissance, la maison de son père, et il sait qu’il va revoir son frère Essav dont il n’a eu aucune nouvelle depuis 20 ans. La dernière fois qu’il l’a vu Essav était furieux et il voulait le tuer. Yaakov, de retour après 20 ans d’absence, n’imagine pas que son frère a changé. Il est littéralement mort de peur. Il hésite même à revenir : la tentation est grande de fuir encore une fois (c’est du moins comme cela que certains interprètent son mystérieux combat contre un ange). Finalement, malgré ses craintes, Essav va se montrer très heureux de revoir son frère et lui fait un accueil des plus chaleureux (même si les rabbins du midrach, qui n’en reviennent pas, doutent de la sincérité de Essav)…
Mais justement, si l’on laisse un peu de côté le texte littéral de la Torah, la tradition juive postérieure a fait de cette rencontre un archétype, un évènement fondateur et annonciateur des rapports entre les descendants de Yaakov/Israël : le peuple juif, et ceux que la tradition rabbinique associe à Essav : le monde gréco-romain, et plus tard l’occident chrétien. Cette tradition très ancienne n’est évidemment pas à prendre au sens littéral mais plutôt symbolique : on identifie les peuples à des personnages bibliques, des caractères, des récits étiologiques, ce qui permet d’expliquer et d’interpréter les évènements contemporains, de se donner l’illusion que l’on comprend quelque chose aux évènements internationaux qui parfois nous atteignent et bouleversent notre quotidien.
Cela permet aussi de donner une autre dimension à la lecture de récits anciens, mythiques, et contribue à les faire devenir mythologiques (au sens où ils deviennent des récits fondateurs). Ainsi donc les rapports entre deux frères, Yaakov et Essav, rapports compliqués, difficiles, faits de jalousie, de compétition et de violence, seraient une préfiguration, une théorisation des rapports entre le peuple juif et l’occident, représenté par la force dominante de chaque époque.
Nous sommes indirectement aussi dans la problématique de Hanouka, puisque cette fête évoque un évènement historique, une guerre, mettant en jeu les judéens du second siècle av. JC d’une part, et les « séleucides », une dynastie descendant d’un général d’Alexandre le grand, ayant fondé un royaume dans ce qui est l’actuelle Syrie, et qui représente le monde hellénistique. Les seules sources qui racontent cette guerre sont des sources juives (le/les livres des Macchabées), et évidemment ne sont impartiales (et ne prétendent pas l’être). Les juifs qui ont rédigé ces textes racontent l’histoire de leur point de vue, et suivant une idéologie, des codes thématiques et littéraires qui sont les leurs : les occupants, les syriens de culture hellénistique, sont les agresseurs. Par arrogance, par volonté d’hégémonie, ils ont cherché à imposer leur culture, leur civilisation, leur religion, à ce peuple juif dominé et oppressé (aidé en cela par une grande partie de ce peuple juif attiré par l’hellénisme et déjà en désir d’assimilation), ils interdisent aux juifs de pratiquer leur culte, d’étudier leur Torah et les obligent par la force à adopter leur mode de vie et leurs dieux, jusqu’à transformer le temple de Jérusalem en lieu païen. Face à ses agressions, se forme un petit groupe d’opposants, de résistants, qui se réfugient dans la montagne et harcèlent les troupes ennemies en utilisant une technique de guérilla, puis leurs rangs grossissent et ils les osent les affronter lors de batailles rangées, jusqu’à ce que contre toute attente ils finissent par obtenir la victoire (bien que moins nombreux et moins bien armés mais motivés par la justesse de leur cause… et par un peu d’aide divine) et conquérir Jérusalem et le Temple, le purifier de l’idolâtrie et le remettre en service pour le culte juif.
Un peu plus tard, cette histoire sera racontée et développée en termes encore plus manichéens, puisqu’on nous présentera l’histoire sous la forme d’un combat symbolique de la lumière contre l’obscurité, du bien contre le mal, de la justice qui triomphe contre l’iniquité.
La victoire de Yaakov (le peuple juif) contre Essav (l’hellénisme), en des termes si clivants et caricaturaux qu’on ne peut s’empêcher de penser à une certaine forme de réduction de la pensée, de vision en noir et blanc, qui confine au fanatisme (nous avons raison, ils ont tort), à l’intégrisme (tout ce qui vient de chez nous est bon, tout ce qui vient d’ailleurs est mauvais) et au totalitarisme (soit tout eux, soit tout nous).
Comme toujours, la vérité est probablement plus compliquée : les auteurs de l’histoire de Hanouka sont guidés par une visée idéologique et théologique qui voit en l’occident des ennemis héréditaires et irréductibles, prêts à tout pour les persécuter (comme le dit Rachi dans la paracha, en citant un midrach ancien : Halakha hi : Essav soné leYaakov).
C’est un sujet très sensible, et il faut être clair : cette vision des choses existe dans le judaïsme, mais ce n’est pas la seule. A côté de ce point de vue polémique, antagoniste, presque paranoïaque, existe, depuis les sources juives les plus anciennes, puis au moyen-âge et à l’époque moderne, un courant qui loin de jeter l’anathème sur la pensée occidentale, reconnaît son influence dans la pensée juive et les nombreux emprunts qui, consciemment ou inconsciemment, ont jalonné notre histoire, qui sont au moins aussi importants que l’influence du judaïsme dans la pensée occidentale : si nous leur avons transmis le monothéisme et la Bible (avec le christianisme) l’influence de la culture hellénistique se fait sentir dans la pensée juive à travers l’astronomie, la philosophie, la démocratie, l’art, et bien d’autres choses encore.
Ainsi, la vision suivant laquelle un judaïsme pur, authentique, hermétique, doit être préservé et sauvegardé contre toute influence étrangère ne résiste pas à l’examen critique de nos sources. Cette conception se révèle rapidement être un fantasme, un mythe, dont l’existence et la persistance s’expliquent par des raisons historiques très anciennes de méfiance et de conflits entre peuples, entre Essav et Yaakov.
Est-il nécessaire de dire dans quel courant de pensée s’inscrit notre communauté massorti ? Nous affirmons régulièrement que s’il est impossible d’empêcher toute influence étrangère dans le judaïsme, il est tout aussi impossible d’imiter systématiquement les pratiques étrangères jusqu’à perdre toute spécificité. Il doit exister une voie médiane, une troisième voie.
Une voie qui permette d’intégrer de façon lucide et consciente les avancées de la pensée occidentale, dans ce qu’elle a de meilleur, et de conserver le message originel du monothéisme biblique et de la loi rabbinique.
Pour nous, Hanouka ne doit pas être une apologie du fanatisme, mais au contraire la conscience que si les rapports entre Essav et Yaakov n’ont jamais été simples, entre jalousie, compétitions et conflits, ils font néanmoins partie de la même famille, et le lien qui les unit est indissoluble. Ils sont solidaires l'un de l'autre, même si c'est parfois à leur corps défendant.
L’histoire de Hanouka se termine par la purification et la ré-inauguration du Temple de Jérusalem.
D'où vient que l'on allume des lumières? Une légende veut que les Maccabim ayant trouvé la Ménorah du Temple éteinte l'auraient rallumée et que les lumières ont brûlé 8 jours. Lumière de la Ménorah => se retrouve dans toutes les synagogues du monde par le Ner Tamid => la lumière, le feu requiert une présence. Pas la présence divine, mais la personne de celui/celle qui entretient la flamme!
La synagogue est un petit Temple (Miqdach Méat). Dans le Temple le Saint des Saints était un carré parfait fait de trois murs et fermé par un rideau qui faisait "écran"=> pas au sens d'un écran de cinéma, mais au sens d'une mini-séparation entre la présence divine et le peuple, le public qui venait assister au culte. Une séparation de tissu : on peut entendre mais on ne peut pas voir. "Voir" Dieu est très dangereux, l'entendre est possible et même souhaitable. Sa présence doit être suggérée sans être visible. Grand sujet d'incompréhension avec les greco-romains!
Voilà à quoi fait référence le rideau (parokhèt) que l'on trouve dans la plupart des synagogues. (En plus de la signification sémantique de la parokhet à Kippour)
Voilà pourquoi j'ai pesé depuis mon arrivée pour que notre synagogue possède aussi son propre rideau, ce qui est maintenant fait grâce à une généreuse donatrice et à l'insistance de notre présidente que je remercie.
Inévitablement, immanquablement, cela a donné lieu à quelques grincements de dents dans la communauté : de ce que j'ai pu entendre, ce n'est pas tant la couleur ou le tissu qui dérangent, mais tout simplement le fait que ce soit nouveau, et que tout ce qui est nouveau déclenche une certaine résistance chez les gens qui préfèrent comme c'était avant. Avant quoi? Avant que cela change.
Ce genre de réflexe est tout à fait naturel et se retrouve dans tous les milieux humains, même si je reconnais que je ne m'attendais pas à le trouver à ce point dans une communauté qui se veut moderne, massorti, (même si en anglais cela se dit conservative, nous ne sommes pas sensés être conservateurs sur tout), mais cela m'a donné l'occasion de réfléchir à un nouveau sens à donner à la fête de Hanouka : Hanouka en hébreu signifie inauguration, mais s'il faut trouver un symbole à combattre en s'inspirant des Maccabim, se serait à mon avis un combat contre un état d'esprit : l'inertie, la passivité, la résistance au changement, le fatalisme, tout ce qui fait croire que les choses ont toujours été comme ça et qu'il n'y a rien à faire.
Que Hanouka, la lumière, et pourquoi pas l'inauguration de ce rideau soit l'occasion de renouer avec l'esprit pionnier, militant et novateur des débuts du mouvement massorti, et des débuts de Maayane Or.
Chabbat chalom
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