Chers amis,
Un des offices de l’année qui sont les plus populaires dans les synagogues du monde entier est bien évidemment Kippour, et plus précisément l’après-midi de kippour, vers 17h00, l’affluence commence à se ressentir, on commence l’office de Minha, dans lequel on lit dans la Torah un texte du milieu du Lévitique : les interdits sexuels. Sans rentrer dans les explications de cette lecture à ce moment précis, ce qu’il est intéressant de noter c’est ce verset particulier :
« N’épouse pas une femme avec sa sœur, ce serait créer une rivalité en découvrant la nudité de l’autre de son vivant » => la Torah, qui reconnaît la polygamie (reconnaît et non pas autorise, je l’ai expliqué à de nombreuses reprises), lui prescrit des limites qui peuvent nous paraître évidentes ou naturelles, mais qui doivent malgré tout être consignées et codifiées, comme tous les tabous : un homme ne doit pas, ne peut pas épouser sa mère, sa sœur, sa fille, sa belle-mère etc. Il ne doit pas non plus, et c’est moins évident, épouser deux sœurs et vivre avec les deux en même temps. Je dis c’est moins évident, car de ce que l’on connaît des lois et coutumes du Moyen-Orient ancien, cette règle ne faisait pas partie des « tabous universels » et lors de mes études d’histoire ancienne on m’a fait rencontrer au moins un exemple. C’est moins évident, surtout parce que c’est en contradiction totale avec un récit de la Genèse, que nous lisons cette semaine : Jacob lui-même a épousé deux sœurs ! Ce qui pose un sérieux problème à certains exégètes, pour qui les patriarches observaient la totalité des mitsvot de la Torah, écrite comme orale. Ils vont donc tenter de justifier cette situation de différentes manières. Ne m’inscrivant pas dans cette tradition de pensée suivant laquelle tous les textes doivent s’enchainer de façon logique et ne surtout pas se contredire, je préfère de loin m’intéresser d’un point de vue littéraire, à la façon dont le texte construit l’intrigue et développe un thème qui n’apparaissait pas encore dans l’histoire familiale si compliquée et tourmentée de ce petit clan.
Après avoir développé les thèmes de la jalousie/compétition entre frères (nous en parlions encore la semaine dernière), la paracha de cette semaine évoque la jalousie entre sœurs. Certains pourront dire « quelle différence ? » : dans un cas il y a deux frères, un aîné et un cadet qui se battent pour l’héritage et le poste de chef de famille/clan. Pourquoi les femmes seraient-elles différentes des hommes dans leurs sentiments, leurs ambitions, leur volonté de domination ? A cela la Torah répond : le simple fait qu’il existe un texte dont les femmes sont les actrices et les héroïnes prouve qu’à une certaine époque on éprouve le besoin de restituer une version féminine d’un thème largement développé, qu’on y accorde de l’importance et des moyens (du texte), car la rivalité entre deux femmes est différente de la rivalité entre deux hommes. Ces différences sont de plusieurs ordres, et pour bien comprendre il faut analyser les deux histoires parallèles, celle du couple Esaü/Jacob et celle du couple Léa/Rachel.
- Esaü/Jacob :
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Compétition physique depuis la conception (ils se battent dans le ventre de leur mère !)
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Deux caractères différents et opposés : brutalité physique contre passivité
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Deux parents => chacun est le préféré d’un des deux
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Enjeu : Bekhora et Bérakha
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Se termine par une séparation forcée pour éviter violence physique et mort d’un des deux.
- Léa et Rachel
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->On n’entend pas de compétition dans l’enfance : Midrach sur les yeux de Léa.
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Au contraire, le Midrach insiste sur la complicité entre les deux femmes devant cet épisode incroyable du « faux mariage ».
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Elles ne semblent pas protester contre le fait d’être considérées comme des objets par leur propre père
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->La rivalité s’installe par la faute de Jacob => SANA / il déteste Léa. Naissance de la compétition.
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Thème de la fertilité et de la stérilité.
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Compétition par le nombre d’enfants => elles utilisent leurs ventres et leurs enfants comme objets pour lutter l’une contre l’autre
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Les enfants sont même impliqués dans cette compétition => Réouven
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Elles sont prêtes à tout, non pas pour avoir des enfants, mais pour en avoir plus que l’autre sœur => cela va mal se terminer, avec le décès de Rachel en couches.
Paradoxe ! Alors que la rivalité entre frères est plus violente, c’est la rivalité des sœurs qui se termine par la mort !
Morale de l’histoire : la Tora a conscience qu’il y a un modèle féminin comme un modèle masculin des conflits. L’un est violent, l’autre ne l’est pas moins, et peut même l’être plus. L’un est extériorisé, l’autre intériorisé. L’un se joue au niveau des organes extérieurs (les bras/les jambes) l’autre au niveau des organes intérieurs (le ventre). L’un se joue en extérieur, l’autre dans la tente.
On pourrait développer ces différences à l’infini, mais ce qui est à retenir : les histoires mythiques mettent en scène des personnages archétypaux, des principes plus que des sujets ayant leur existence propre. Esaü, Jacob, Léa et Rachel sont importants car ils nous parlent de nous. Nous avons tous un peu des quatre en nous et sommes imbriqués dans ces schémas de violence.
Ce qui fait la force de ces récits c’est que nous croyons lire des histoires sur nos ancêtres, alors qu’en fait c’est de nous qu’il s’agit.
Chabbat chalom
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