Chers amis,
Contrairement à d’autres fêtes du cycle de l’année juive, qui sont beaucoup plus riches en Mitsvot, Roch Hachana n’a qu’une mitsva, ancienne, forte et très symbolique : le chofar.
Ancienne, car il s’agit d’un commandement biblique : Roch Hachana est aussi appelé « Yom Teroua » le jour de la sonnerie. Le génie de la Torah consiste à justement ne pas donner de signification à cette sonnerie, ce qui laisse le champ libre à toutes les interprétations postérieures.
Pour en citer quelques unes, certains y ont vu un rappel de la création du monde, puisque Roch hachana est en quelque sorte « Hayom Harat Ôlam » : l’anniversaire du jour où le monde fut formé. Dans l’antiquité, une façon de célébrer les anniversaires était d’ordonner des sonneries dans tout le pays, comme certains font des coups de canon.
Le rappel de la révélation du Sinaï, puisque le chofar faisait partie des sons que les Bené Israël ont entendu.
Le rappel de l’épisode de « Aqédat Itshak », la ligature d’Isaac dans lequel intervient un bélier.
Un signe de rassemblement/avertissement, de compte du temps.
Un signe de déclaration de guerre contre les ennemis.
Un symbole, suivant les auteurs, de joie ou de peur.
Toutes ces interprétations, compilées par Saadia Gaon un des grands maîtres des générations directement consécutives à la fin de la compilation du Talmud de Babylone, les compile et les résume, avec d’autres encore, et vous pouvez en avoir un aperçu dans votre Mahzor. La difficulté, lorsqu’on prétend étudier le judaïsme et y trouver du sens pour notre vie quotidienne, est de faire un choix dans ce « flot » d’interprétations qui, chacune étant cohérente en soi, est difficile à maîtriser dans sa globalité.
Il faut donc tenter de faire abstraction de tous ces commentaires, chercher en soi un questionnement, une impulsion un début de piste qui nous mettra sur une route sur laquelle, une fois pris un certain élan, nous choisirons de nous aider/nous faire guider par certains textes de la tradition… ou pas.
La Torah, nous demande, à Roch Hachana, de sonner du chofar. Certains disent que le chofar est le premier instrument de musique, venu du fond des âges. Pour moi cette affirmation entraine une question, qui serait un bon sujet de dissertation : le chofar est-il un instrument de musique à proprement parler ? Oui par certains aspects, non par d’autres. Un chofar produit des sons qu’un être humain ne pourrait pas produire tout seul. Mais ces sons ne peuvent être modulés pour former une mélodie, ils seront inutiles pour faire chanter ou danser. La seule chose que l’on peut moduler avec un chofar c’est le rythme des sons, dans une certaine mesure.
L’action de sonner du chofar fait appel à une propriété humaine fondamentale, certainement la plus ancienne et la plus fondamentale, celle qui nous unit tous : le souffle, la respiration. Parmi toutes les disparités, les inégalités qu’il peut y avoir entre les êtres humains, petits, grands, forts, faibles, sourds, aveugles, handicapés etc. tous les êtres humains respirent. Par conséquent tout le monde est capable de sonner dans un chofar (avec un peu d’entrainement…).
Les commentaires qui indiquent que le chofar rappelle la création de l’homme ne disent pas autre chose : en quoi le chofar peut-il bien rappeler cet épisode de la genèse si ce n’est un évoquant le fait que l’homme a été créé à partir du souffle divin… ainsi, avant même l’action de sonner dans le chofar, le sens, le rappel, la signification se produit dans l’action d’inspirer profondément avant de commencer à souffler.
Si le son qui sort du chofar, je crois, ne peut être comparé à une musique ni une mélodie, le son qui s’y approche le plus est le cri. Le souffle humain, amplifié par la corne qui, par sa vibration, lui donne un timbre et une ampleur qu’il n’aurait jamais pu atteindre seul, se transforme en un cri primaire, primitif, animal. Une dimension animale augmentée par le fait que le chofar, pour être cacher, doit être issu d’un animal, en l’occurrence un bélier.
Enfin, pour tous ceux qui ne sonnent pas directement du chofar, la mitsva est de l’écouter (lichmoâ kol chofar) et écouter ce n’est pas entendre. Écouter c’est prêter attention et trouver un sens. C’est essayer de trouver, suivant une expression de la michna, kavanat halev, la direction du cœur.
Ainsi, tout ce qu’on nous demande à Roch Hachana, ce jour dont la signification est multiple (premier jour de l’année, anniversaire de la création du monde, jour du jugement, jour du souvenir, jour de la repentance…) c’est de produire et d’écouter ce son, se rattacher à une attitude animale, bestiale, de cri/hurlement. A quoi correspond ce cri ?
Mon commentaire préféré est celui de Maïmonide, qui voit dans le son du chofar une dimension de « Hitôrérout » de réveil : « réveillez-vous, sortez de votre torpeur » (Hilkhot Techouva). Le son du chofar a pour but de nous réveiller. Or, si nous avons besoin de nous réveiller, c’est donc que, sans vraiment le réaliser, nous étions endormis. Endormis dans l’hyperactivité quotidienne, ces milliers de choses à faire qui nous submergent. Endormis dans les différents cycles de la vie qui, en nous emprisonnant dans l’immédiateté et la réactivité, l’action mesurable, quantifiable, nous font oublier notre première condition d’être respirant, réceptacle d’un don : le souffle (et en hébreu les mots « souffle » et les mots « esprit » se confondent). Voilà je crois la plus belle signification du chofar : ni départ en guerre contre les ennemis ni rappel d’un anniversaire, simplement de réveil spirituel, qui, s’il est possible chaque jour de l’année, est favorisé, aidé, amplifié par la sonnerie de ce « réveil », cet appel issu des profondeurs de la respiration.
Evidemment, pour les juifs, le réveil spirituel ne peut être qu’un début, le commencement d’un mouvement qui trouvera son débouché dans l’action : voir le commentaire rabbinique dans un Midrach très ancien (Vayikra Rabba) sur le mot « chofar » : « chaprou maassekhem » => "ameliorez vos actes".
Après le chofar, j’aimerais aborder un autre symbole de la fête, qui est aussi présent dans l’imaginaire populaire qu’il est absent des sources rabbiniques : on représente partout Roch Hachana avec une pomme et du miel. Si la tradition du seder de Roch Hachana, avec divers ingrédients, provient de sources anciennes et est riche de sens et de symbolique, si la symbolique même de cette pomme qui est un fruit acide soit adoucie par le miel est facilement compréhensible, j’avoue avoir un peu de mal avec cette phrase standardisée qu’on entend à tout bout de champ : « je vous souhaite une année douce comme le miel ».
Personnellement, certains à Maayane Or le savent, j’aime beaucoup le miel, à petites doses, surtout dans les pâtisseries orientales. Mais de là à souhaiter aux gens de passer une année qui ressemble entièrement à ce liquide visqueux, poisseux, gluant, écœurant… je ne trouve pas cela très engageant.
Je préfère de loin vous souhaiter une année entièrement influencée par la vibration du chofar, sa tonalité, sa densité de son… et de significations. Une année dans laquelle chaque jour, chaque instant soit orienté par le désir de se réveiller, de s’améliorer, d’avancer, d’approfondir, de créer, de s’engager, de militer. Une année de pleine réalisation de ce qui fait la spécificité de la condition humaine : le souffle et l’esprit.
Chana Tova
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