Chers amis,
Dans la paracha de cette semaine nous trouvons, après l’allumage de la Ménorah par Aaron, la consécration des Léviim, un passage concernant la fête de Pessah, une description de la mise en route des hébreux dans le désert, un passage de révolte dans lesquels ils réclament de la viande, Moché se décourage et demande à Dieu de le délaisser de ce fardeau, le partage de la prophétie à 70 « anciens » la vengeance de Dieu qui « gave » les bené Israël de viande de caille jusqu’à provoquer une épidémie, et enfin l’épisode célèbre où Myriam médit de la femme de Moché et Dieu la punit par la lèpre.
Par deux fois dans le même texte (ce n’est pas très clair mais il semble qu’il y ait eu deux épisodes différents) le peuple se rebelle et est puni. La première fois, « ils se plaignent ». Réponse automatique et immédiate : un feu les brûle. La seconde fois, ils se plaignent de manquer de viande, expriment leur lassitude de manger toujours la même chose (la manne) et regrettent la bonne nourriture qu’ils avaient en Egypte. Cette fois, la réponse est beaucoup moins directe et automatique : c’est d’abord Moché qui exprime son découragement (il demande même à Dieu de lui enlever la vie !) ce qui a pour effet de déclencher une nouvelle colère divine contre le peuple, avec la punition que l’on connaît : les cailles qui viennent mourir sur la côte et empoisonnent un grand nombre parmi les hébreux.
La majorité des commentateurs insistent sur le fait que les juifs sont un peuple rebelle à l’autorité, indiscipliné, « à la nuque raide », et ces épisodes s’inscrivent dans une suite narrative de remous et révoltes récurrentes qu’il y eut dans le désert (voir la suite avec Datan et Aviram, Korah etc.). En lisant et en relisant ce texte (en essayant à chaque fois de le faire avec des yeux neufs), on ne peut pas décemment accepter cette interprétation qui sonne comme une condamnation unilatérale et globale, une généralisation inacceptable. Comment peut-on dire de ce peuple qu’il est par nature « rebelle à l’autorité » à la seule lecture du chapitre 11, alors qu’au chapitre 10 la Tora nous raconte dans le détail la façon dont ils se déplaçaient dans le désert : la nuée qui résidait sur le tabernacle se déplaçait de façon totalement imprévisible, et ils devaient la suivre parfois pendant quelques jours sans s’arrêter. Au moment où elle bougeait, Moché qui avait reçu l’ordre de se fabriquer deux grosses « trompettes » (on dirait plutôt des espèces de cors) et au son de ces trompettes (je serai tenté de dire de façon provocante « au premier coup de sifflet ») tout le peuple se mettait en marche dans l’ordre, avec discipline, tribu par tribu derrière son chef et derrière son fanion, un véritable défilé militaire. Et avec ça on dit que ce peuple est indiscipliné ?
Puisque chaque lecture, chaque année doit être différente, suivant l’évolution et la personnalité du lecteur, je dois dire que cette année la relecture de la paracha Béhaalotekha m’a laissé un goût amer, une impression bizarre et inconfortable de me retrouver devant la description d’un régime totalitaire : d’un côté on oblige les masses à défiler dans un ordre hiérarchique militaire, stricte et discipliné, de l’autre on réprime violemment toute parole, opinion divergente qui est prise comme une tentative de déstabilisation du régime par l’intérieur. Sans parler d’une certaine dose de xénophobie, puisqu’on fait retomber la faute sur « les étrangers », ceux qui ont suivi les hébreux en sortant d’Egypte.
Quel « crime » ont donc commis tous ces gens dont on nous décrit la mort violente par le feu ou par une indigestion de cailles ? Celui d’avoir osé râler. Exprimer non pas leur désaccord, leur refus, leur rébellion, mais simplement leur découragement, la fatigue d’une errance qui apparaît sans but, et l’angoisse face à l’inconnu. Bel exemple de liberté ! On se croirait devant une accusation « d’activité contre-révolutionnaire » qui touche tous ceux qui osaient émettre des critiques contre un des régimes totalitaires du 20° siècle.
Maintenant, je vais cesser de feindre de découvrir que la Tora n’est pas un modèle de démocratie occidentale telle que nous la connaissons avec sa liberté d’expression. Je vais plutôt me concentrer sur cette notion qu’on essaie de nous transmettre tout au long de cette paracha : l’apprentissage de la liberté passe par la maîtrise de la parole. L’idée que pour exprimer ma liberté je doive dominer ma langue et surveiller ce qui sort de ma bouche est commune à chacune des histoires qui se suivent dans cette paracha.
En fait, toutes les fautes évoquées dans cette paracha ont un rapport avec la parole.
Mais ici il n'est pas question de "lachone hara", la médisance (sauf peut-être dans le cas de Miriam, mais il faut lire les commentaires pour lesquels elle médisait de Moché en prenant la défense de son épouse), il est plutôt question d'un manque de filtre entre la pensée et la parole.
Les moments de découragement par lesquels passent les hébreux sont naturels et légitimes, tant qu'ils restent au niveau du ressenti individuel. Dans ce cas, il est possible, et même recommandé de mettre le mal en mots devant un interlocuteur qui va aider à canaliser cette angoisse et guider vers une façon de la surmonter. Ce qui est dangereux et risque de mener à la catastrophe, ce sont les mouvements de masse incontrôlés, la panique de la foule que personne ne peut maîtriser. L'histoire des révoltes et des révolutions montre qu'il n'y a rien de plus incontrôlable qu'une foule qui se déchaine, sans chef, sans leader ni but particulier. Dans ces moments de délire collectif, n'importe quelle parole peut avoir des conséquences dramatiques : on peut crier "à la bastille!" comme "mort aux juifs"! Et le sens commun est brouillé. Il faut donc impérativement éduquer, élever, cette foule, cette masse, ce "troupeau" pour reprendre la métaphore du chef qui est appelé "pasteur" ou "berger", même si, il faut le reconnaître, c'est fait de façon très violente, avec beaucoup de morts (par le feu ou par l'indigestion de cailles). Mais qui a déjà eu un groupe à mener sait que parfois il faut être sévère avec le groupe pour protéger les individus en particulier.
Tout le but de la tradition juive par la suite va être de se donner les moyens d'éduquer chaque individu afin de ne plus jamais avoir à sévir contre la masse. Mais ce travail est évidemment de très, très longue haleine. Ainsi le fait d'enseigner à nos enfants la pratique des Mitsvot, le respect de la Halakha, la domination de soi, la maîtrise de ses instincts, au niveau individuel, permettra peut-être un résultat positif qui rejaillira sur l'ensemble du peuple.
Mais ce qu'il faut bien avoir à l'esprit, c'est que l'aspiration n'est pas d'avoir un peuple entièrement discipliné qui parle d'une seul voix, mais une communauté de gens qui réussissent à accéder à la liberté, une liberté maîtrisée qui n'est pas dangereuse ni destructrice.
Chabbat chalom
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