Tazria

Chers amis,
La paracha de cette semaine est un texte qui fascine depuis longtemps les médecins. Nous avons un témoignage émouvant d’une façon antique de pratiquer la médecine, ainsi qu’une réflexion sur le rôle des prêtres, et la façon dont ils concentraient tous le savoir, représentant une sorte de caste d’intellectuels dont les fonctions et les attributions n’étaient pas seulement d’ordre cultuel mais aussi médicales.
Contrairement à mon habitude, je ne vais pas commenter ce soir la paracha mais la haftara de Tazria, ce qui est d’autant plus inhabituel que ce n’est pas le texte que nous lirons demain car nous devons lire la haftara relative à une veille de Roch Hodech pour annoncer que Roch Hodech du mois de Nissan sera cette semaine, car la tradition rabbinique accorde une grande importance au mois de Nissan : il y a certaines règles à observer : pas de jeûne, pas de « Tahanounim »/ « supplications » et d’autres encore, donc il faut que tout le monde soit prévenu. De plus, les années qui ne sont pas particulières avec un second Adar, comme la nôtre, la paracha Tazria se lit couplée avec la suivante, Metsora, et lorsque cette lecture ne tombe pas le dernier chabbat de Adar ni un des chabbatot particuliers précédents, on lit la haftara de Metsora et pas celle de Tazria. Tout cette longue explication pour vous dire que statistiquement il est très rare que l’on lise ce texte, ce qui est dommage car il est magnifique, j’ai donc décidé de ne pas attendre quelques années pour pouvoir en parler.
Il s’agit d’un épisode du second livre des Rois : Naaman est le général en chef de l’armée du roi de Aram (apparemment les araméens) et soufre de cette maladie de peau qu’on traduit par « lèpre » faute de mieux (d’où le lien avec la paracha Tazria). Par une voie détournée (quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît etc.) il apprend qu’il y a en Samarie un « Navi »/ « prophète » qui peut guérir cette maladie. Le roi d’Aram l’envoie avec une somme conséquente en argent et en or et des cadeaux sous forme de vêtements au roi d’Israël en lui écrivant une lettre : « lorsque tu recevras ce « sefer » cette lettre, prend les cadeaux et guéris mon serviteur Naaman de sa lèpre ». En lisant cette lettre, la première réaction du roi d’Israël est de déchirer ses vêtements en signe de désespoir, un détail qui n’est pas innocent, puisque tout le texte tourne autour de la thématique de la peau, « vêtement » extérieur du corps. Le cri de désespoir du roi est particulièrement fort et émouvant : « "Suis-je donc un dieu qui fasse mourir et ressuscite, pour que celui-ci me mande de délivrer quelqu'un de sa lèpre? Mais non, sachez-le bien et prenez-y garde, c'est qu'il me cherche querelle." ». Puis intervient le prophète Elisha (Elisée) disciple et successeur de Eliyahou, qui fait dire au roi « envoie-le moi », et il réussit à guérir Naaman en le faisant tremper sept fois dans les eaux du Jourdain, ce qui en soi n’est pas décrit comme un exploit, le véritable exploit ayant été de convaincre Naaman de suivre les conseils d’Elisha et de lui faire confiance, puis évidemment Naaman finit par s’écrier « je reconnais qu'il n'y a point de dieu sur toute la terre, si ce n'est en Israël! Et maintenant, de grâce, accepte un présent de ton serviteur." ».

Je trouve cette histoire, ce récit, ce texte, particulièrement riche sur plusieurs plans :
  1. l’impuissance de toute la force et de toutes les richesses face à la maladie
  2. la subtilité des relations diplomatiques entre deux pays puisque la puissance militaire d’Aram déchainée contre Israël n’aurait servi à rien pour trouver un remède à la maladie de son général
  3. la symbolique, l’importance et la valeur irremplaçable de la peau, organe essentiel du corps humain, à la fois protecteur et lui-même fragile, d’où sa comparaison avec le vêtement, dont la fonction première est de couvrir la nudité, mais qui sert aussi à « communiquer » visuellement la richesse et le statut social de celui ou celle qui le porte.

Généralement, les commentaires sur les deux parachot Tazria et Metsora glosent sur le rôle catalyseur de la peau dans un processus psychologique profond à l’intérieur de l’être humain : Metsora = Motsi Ra. Ce qui se vit aussi socialement puisque le malade doit être mit en quarantaine, isolé du reste de la communauté, « sorti hors du camp » (Motsi Ra) même si cela n’est évidemment pas à prendre au premier degré puisque cela pose des problèmes au niveau de la culpabilisation de la personne souffrante (on ne dit jamais à quelqu’un « tu es malade, c’est une punition divine pour te faire expier tes fautes… »).
Ici, il ne semble pas que ce soit le cas : Naaman n’est pas présenté comme particulièrement sanguinaire ou mauvais, mais sa fonction politique et militaire fait qu’il est particulièrement précieux pour son roi et qu’il n’est pas possible de se séparer de lui et de l’exclure : « Naaman, général d'armée du roi de Syrie, était un homme considérable et en grande faveur chez son maître, parce que le Seigneur avait donné par lui la victoire à la Syrie; mais cet homme, ce vaillant guerrier, était lépreux. »
Il faut donc impérativement trouver une solution pour le guérir (le mot utilisé en hébreu n’est pas « refa » mais « assaf » : ramener, faire revenir au groupe) Naaman, et tous les médecins du royaume d’Aram se révèlent impuissants, il faut donc chercher un guérisseur plus loin, partir en voyage, en quête, mais cette fois en quête pacifique et humble, en apportant des cadeaux et non plus en prenant un butin, et en se présentant à un roi étranger en position d’ambassadeur demandant un service et non plus en tant que conquérant exigeant la soumission. Un voyage réparateur, expiateur, non pas initiatique mais « ré-initiatique », en guise de thérapie. Le premier surpris est le roi d’Israël, puisqu’il croit à une manœuvre diplomatique destinée à lui déclarer la guerre. Le voyage de Naaman se termine par deux épreuves « réparatrices »/ « éducatrices » : premièrement il doit accepter de tenter le remède que lui propose Elisha, alors que son premier réflexe est de se mettre en colère : « Naaman se mit en colère et s'en alla en disant: "Certes, m'étais-je dit, il va sortir, s'arrêter, invoquer le nom de l'Eternel, son Dieu; puis il aurait passé sa main sur la partie malade et guéri le lépreux. 12 Est-ce que l'Amana et le Parpar, ces rivières de Damas, ne valent pas mieux que toutes les eaux d'Israël? Pourquoi, en m'y baignant, ne deviendrais-je pas net?" Et il s'en retournait et partait furieux, » il faudra beaucoup de diplomatie, mais pas la diplomatie des puissants, celle de ses serviteurs, pour le convaincre d’essayer malgré tout.
Enfin, il lui faudra accepter qu’Elisha refuse d’accepter tous les présents qu’il veut lui donner en remerciement. La guérison ne vient pas d’Elisha mais de Dieu, qui n’a besoin de rien.
Les médecins discutent depuis fort longtemps sur la vraie nature, la définition clinique de cette maladie que la Torah appelle « Tsaraat ». Mais il suffit de savoir que c’est une maladie de peau pour comprendre immédiatement quel genre de souffrance elle occasionne : un inconfort continuel et diffus, des démangeaisons et picotements sur tout le corps, doublé d’un dégoût et d’un rejet de la part de l’entourage car il est difficile de cacher totalement la peau.
Lorsque l’organe externe destiné à protéger tous les autres organes internes est fragilisé, c’est tout le corps qui est en danger. Lorsque la seule et unique personne capable de protéger le pays en cas d’invasion étrangère est souffrante, c’est toute la population qui est en danger.
Mais ici l’ennemi à combattre n’est pas une armée puissante et bien entrainée, équipée. Si ce n’était que cela, ce serait bien plus simple ! « L’ennemi » a la taille de quelques microbes, un champignon, une moisissure qui s’attaque à la peau, la contamine et la fait « pourrir » prématurément. Cruelle ironie ! Dérision de la puissance humaine ! Quelques microbes suffisent pour venir à bout d’un puissant guerrier, d’un pays, d’un empire tout entier ! Pour réussir à guérir, la seule solution consiste à opérer une sévère introspection, devenir humble, prendre conscience de la fragilité de sa personne, de la futilité de son statut social (et bénéficier d’un « coup de pouce » d’origine divine).
Une fois de plus, je suis admiratif de la tradition juive qui a choisi de placer ce texte dans cette période entre Pourim et Pessah, puisqu’il évoque un peu des deux : Pourim, par la fausse importance du vêtement et de l’apparence, mais surtout Pessah, par son « combat », cette lutte minutieuse, obsessionnelle, parfois désespérée contre le hametz. Qu’est-ce que le hametz ? Un peu de levure. Une bactérie ! Une petite moisissure, qui mélangée à la pâte produit une réaction chimique qui permet au pain de gonfler. Toute l’année, nous mangeons du pain volontairement et artificiellement « pourri » prématurément, ce qui le rend périssable, alors que les matsot, sans levure, ne pourrissent jamais.

Toute l’année, nous donnons de l’importance à l’accumulation de biens matériels, à la lutte contre la concurrence dans le commerce, aux ennemis de l’extérieur. Nous accordons de l’importance à l’image que nous renvoyons, et au respect, à l’honneur que les autres nous accordent, sans réaliser la futilité et la précarité de ce « gonflement » artificiel. Si une fois dans l’année on nous demande d’éliminer le hametz, il ne faudrait pas y voir une action purement technique, mais bien un nettoyage profond et minutieux de toutes les bactéries intérieures qui nous poussent à nous « gonfler » de notre propre importance, à nous remplir d’air, de vide, et à nous vieillir prématurément.

Chabbat chalom.

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