Chers amis,
La paracha
de cette semaine, chemini, est partagée en trois parties distinctes, dont le
lien n’est pas évident à première vue.
Tout
d’abord, chemini signifie huitième. Le huitième jour de l’inauguration du
michkan. Dans la Torah, chaque fois qu’on inaugure un lieu, un espace qu’au
relie au domaine de la sainteté, le chiffre huit entre en compte.
Pourquoi ? Probablement parce que le chiffre sept est celui de la nature,
de la création, et que le lien que l’humain entretient avec le créateur est
considéré comme exprimant sa possibilité de s’élever au-dessus de la nature, de
sa condition d’être créé faisant partie de la création, vers une condition de
partenaire du créateur. Peut-être aussi, étymologiquement, y a-t-il un
lien avec l’instrument qui sert à inaugurer, transformer, consacrer un objet
profane en objet « kadoch » : l’huile, qui se dit
« chemen », et qui renvoie à chemoné, et donc à notre chemini (je ne
développe pas, car c’est plutôt du domaine des drachot de Hanouka).
Donc, trois parties distinctes.
- Détail des sacrifices de l’inauguration, dont la plupart sont de la catégorie des «Hatatt», c'est à dire des sacrifices « expiatoires » comme le dit la traduction du rabbinat, sacrifices que l’on apporte lorsqu’on a commis une faute.
- L’épisode de l’apparition du feu dans le sanctuaire, joie immense du peuple, suivi aussitôt par l’épisode troublant de la mort des fils d’Aaron, Nadav et Avihou.
- Enfin une longue suite de règles de différenciations entre animaux purs et impurs, un des textes de base de la cacherout.
Lors d’une
des années précédentes, j’ai déjà expliqué que le « crime » pour
lequel les neveux de Moché sont morts restait un profond mystère : qu’ils
soient morts pour cause d’ambition et d’impatience de remplacer leur père et
oncle, ou pour avoir apporté un feu étranger, ou pour avoir apporté un feu
« qu’on ne leur avait pas ordonné d’apporter », ou encore pour avoir
été ivre, les commentateurs tentent de s’arranger avec cette mort dramatique en
faisant en sorte qu’ils aient commis un grave crime, puisqu’ils ont mérité une
punition divine, et que Dieu, que les rabbins comme la plupart d’entre nous
considèrent comme le Dieu de justice, ne peut pas punir injustement.
Je laisse de
côté les commentaires pour lesquels la mort de Nadav et Avihou n’était pas la
conséquence d’une faute mais au contraire le résultat d’un état psychologique
d’exaltation et d’élévation spirituelle tel qu’ils ont fini par passer de
l’autre côté et se confondre avec le feu divin qui les a littéralement consumés de l’intérieur (puisque leurs vêtements étaient encore en l’état).
Je voudrais
développer une théorie suivant laquelle la mort des deux apprentis-prêtres
représente –j’allais dire « tout simplement »- un sacrifice. Cette
théorie je ne l’ai pas inventée, elle se trouve induite dans les commentaires
sur la phrase un peu bizarre et obscure que Moché prononce pour consoler son
frère, le calmer, et éviter qu’il ne pleure :
ויקרא פרק י
(ג) ויאמר משה אל אהרן הוא אשר דבר יקוק לאמר בקרבי אקדש ועל פני כל העם אכבד
וידם אהרן:
« Moïse dit à Aaron: "C'est là ce qu'avait déclaré
l'Éternel en disant: Je veux être sanctifié par ceux qui m'approchent et
glorifié à la face de tout le peuple!" Et Aaron garda le silence. »
רש"י ויקרא פרק י פסוק ג
הוא אשר דבר וגו' - היכן דבר ונועדתי שמה לבני ישראל ונקדש בכבודי (שמות כט
מג). אל תקרי בכבודי אלא במכובדי. אמר לו משה לאהרן אהרן אחי יודע הייתי שיתקדש
הבית במיודעיו של מקום והייתי סבור או בי או בך, עכשיו רואה אני שהם גדולים ממני
וממך:
Rachi : « C’est ce que déclara Où l’a-t-Il
déclaré ? Dans (Chemoth 29, 43) : « Là je rencontrerai les
fils d’Israël, et il sera sanctifié par mon honneur (bikhvodi) »
(Zeva‘him 115b). Il ne faut pas lire : bikhvodi, mais :
bimekhoubadaï (« par ceux qui m’honorent »). Mochè a dit à
Aharon : « Aharon, mon frère ! Je savais que la maison serait
sanctifiée par ceux qu’aime l’Omniprésent, et je me demandais : “Sera-ce
par moi ou par toi ?” Je sais désormais qu’ils sont plus grands que moi et
que toi » (Torath kohanim). »
Autrement dit, je savais déjà depuis le début, dit Moché, que lorsqu’il y
aura l’inauguration du Michkan, il va y avoir un ou deux morts. Pas des
animaux, des humains. Et parmi les meilleurs. Moché (pas le Moché de la Torah,
celui du Midrach) cite à Aaron un passage à peine antérieur dans la chronologie
biblique : quelque temps avant l’inauguration du Michkan, il y avait eu…
l’ordre de construire un michkan, et de l’inaugurer. En sept jours. Paracha
Tetsavé :
שמות פרק כט
(מג) ונעדתי שמה לבני ישראל ונקדש בכבדי:
(מד) וקדשתי את אהל מועד ואת המזבח ואת אהרן ואת בניו אקדש לכהן לי:
(מה) ושכנתי בתוך בני ישראל והייתי להם לאלהים:
(מו) וידעו כי אני יקוק אלהיהם אשר הוצאתי אתם מארץ מצרים לשכני בתוכם אני
יקוק אלהיהם: פ
« C'est là que je me mettrai en rapport avec les enfants
d'Israël et ce lieu sera consacré par ma majesté.44 Oui, je
sanctifierai la Tente d'assignation et l'autel; Aaron et ses fils, je les
sanctifierai aussi, pour qu'ils exercent mon ministère. 45 Et
je résiderai au milieu des enfants d'Israël et je serai leur Divinité. 46 Et
ils sauront que moi, l'Éternel, je suis leur Dieu, qui les ai tirés du pays
d'Égypte pour résider au milieu d'eux; moi-même, l'Éternel, leur Dieu! »
Et lors de ces sept jours d’inauguration, il devait y avoir une
sanctification ultime, une consécration, un signe absolu qui symbolisera et
concrétisera non pas l’alliance entre Dieu et son peuple, mais la présence
divine dans le sanctuaire du désert et l’accompagnement du peuple par la
shekhina elle-même.
Cet acte fondateur, pour marquer les esprits ne devait pas être joyeux et
léger mais triste et tragique. Il fallait que quelqu’un meurt pour que tout le
monde comprenne que Dieu était là. Et il fallait que ce soit un, ou deux, parmi
les mekhoubadim, ceux qui lui donnent le plus de respect/d’honneur.
On peut lier cela vers différentes connections et directions. Pour
certains, cela reste un témoignage de la primitivité des textes anciens, une
résurgence du culte païen des sacrifices humains que l’on retrouve dans la
Torah. Pour d’autres, c’est un lien artificiel pour tenter de dédouaner et de
réhabiliter les deux personnages en question, alors qu’ils ne le méritent pas
forcément.
J’y vois aussi, et ce commentaire est tout-à-fait personnel, une façon
d’exprimer à quel point la mise en avant, la prise de position publique peut
littéralement brûler, avaler des personnes, quelles que soient leurs qualités
et leurs dons pour la tâche qu’on leur a confiée. Dans cette optique, Nadav et
Avihou seraient morts d’être trop parfaits, de susciter tellement d’espoirs par
leurs qualités, leur naissance et leur éducation, qu’ils n’auraient jamais pu
concrétiser et traduire, et qu’ils auraient forcément, inévitablement déçus. Et
ce qu’une foule a encensé hier, elle le brûle aujourd’hui ou demain. Moché
sent, ressent, que cela aurait-dû être pour lui (c’est passé près). Ils sont
même, en quelque sorte, morts pour les protéger, en lieu et place de Moché et
Aaron, comme des sacrifices qu’on apporte « en expiation » pour que
les animaux prennent sur eux la sanction qui revient à leur propriétaire. Mais
c’est un peu de Moché et Aaron qui est mort ce jour-là. Un peu des dirigeants,
des chefs, des leaders, qui, placés, nommés par la volonté divine et par les
circonstances, payent de leur personne leurs erreurs, leurs errements, et aussi
les décisions prises pour le bien de la communauté en sacrifiant d’autres
personnes, parce que c’était "la moins pire des décisions".
En lisant la suite, je me dis que les règles de différenciations entre
animaux purs et impurs, animaux qu’on peut manger et ceux que l’on ne peut/doit
pas manger, peuvent aussi être lues dans le cadre du pacte/alliance entre Dieu et le
peuple. Vous, ne mangez pas tel ou tel animal, moi aussi j’observerai la
cacherout : je ne consumerai que les offrandes que vous m’apportez et plus
jamais d’êtres humains.
Chabbat chalom
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