Chers amis,
Dans l'actualité de ces dernières semaines, une
info faisait état d'un soi-disant "scoop": le Pape aurait annoncé que
Jésus ne serait pas né en l'an un mais quelques années plus tôt, notre
calendrier actuel serait basé sur les calculs erronés d'un moine du IV° siècle
dont je n'ai pas retenu le nom. J'avoue que je n'ai pas très bien compris en
quoi consistait le scoop puisque c'est quelque chose qu'on sait depuis des
années (peut-être est-ce le fait que cela soit reconnu par le Pape), mais cela
m'a fait penser à un autre scoop que j'ai appris pendant mes études de la
bouche de séminaristes protestants avec lesquels nous nous initions au dialogue
judéo-chrétien : non seulement Jésus n'est pas né en l'an un, mais en plus il
n'est pas né à Noël (J'espère ne pas choquer ou décevoir certains, si c'est le
cas bouchez-vous les oreilles car je vais bientôt m'attaquer à Hanouka).
En effet, à aucun moment dans les Evangiles n'est
précisé la date de naissance de Jésus, le rapprochement s'étant fait bien des
années après la rédaction des textes fondateurs, par un mécanisme très bien
connu des anthropologues : les pères de l'Eglise voyant qu'ils n'arrivaient pas
à faire cesser les célébrations de la fête païenne des "saturnales"
car le peuple, même christianisé depuis quelques générations y était trop
attaché, choisirent de la "récupérer" en la christianisant, en fixant
artificiellement cette date comme étant la date d'apparition de leur sauveur
pour lui donner un contenu théologique et symbolique acceptable pour le
christianisme. La fête païenne ne fut pas annulée ni interdite mais simplement
vidée de son contenu et "habillée" d'une nouvelle manière. Cela je crois
que tout le monde le sait depuis longtemps, ce qui n'empêche pas les chrétiens
de célébrer encore aujourd'hui à Noël la naissance de Jésus comme on peut fêter
un anniversaire sur le plan symbolique.
Ce qui m'importe c'est de dire qu'une fête dans
laquelle on allume des lumières à l'approche du solstice d'hiver, au moment le
plus froid et le plus sombre de l'année, lorsque les jours sont les plus
courts, n'est pas l'invention de telle ou telle culture et que personne ne peut
en revendiquer le monopole. Dans toutes les cultures, depuis que l'Homme
existe, on tente de se rassurer au plus profond de l'hiver, en allumant des
feux, en dansant, en chantant, en mangeant. On attend la fin de l'hiver, le
retour du printemps et du soleil, en regardant d'un œil inquiet les réserves de
nourriture et en espérant tenir jusque-là. En un certain sens, dire que cette
coutume est païenne n'est pas plus correct que de dire qu'elle est chrétienne,
juive ou autres : elle est avant tout humaine, et répond à des craintes que
chacun de nous a en soi : la peur du noir, de la solitude, de l'abandon, du
froid, de la rigueur incontrôlable des éléments etc.
Est-ce que je surprendrai quelqu'un en affirmant
que Hanouka est la version juive de cette coutume, et que les juifs ne
possèdent pas le brevet d'invention des bougies et des chansons?
Il suffit de se pencher de près sur les sources de
cette fête pour comprendre qu'il n'y a quasiment aucun rapport entre la ou les
victoires de Macchabées et la légende de la fiole d'huile qui dure 8 jours. Les
victoires militaires sont consignées dans des livres qui n'ont volontairement
pas été inclus dans le canon biblique par les sages de Yavné au IIème siècle,
probablement pour des raisons politiques. Le miracle de la fiole d'huile vient
d'un texte tardif du Talmud de Babylone dans le traité Chabbat, probablement
pour les mêmes raisons que les chrétiens et Noël : il existe une
coutume/célébration à laquelle le peuple est très attaché et qu'on ne pourra
pas supprimer, alors autant lui donner un contenu juif. Attention : dire cela
c'est certes briser un mythe, une histoire "merveilleuse" à laquelle
les enfants sont très attachés, mais ce n'est pas dire qu'il est inutile de
célébrer Hanouka, au contraire ! Car le message de la tradition reste toujours
moderne et actuel : le combat des "meatim moul rabim", du
petit nombre contre les multitudes, le questionnement autour de la part
d'identité juive ou occidentale en chacun de nous, la lumière qui éclaire les
ténèbres, tout cela ne saurait être remis en cause sous le prétexte que le
miracle de l'huile est une pure invention datant de l'époque talmudique.
Mais ce qui me préoccupe aujourd'hui en tant
qu'éducateur est d'un autre ordre. En regardant vers les autres traditions et
leurs célébrations je vois pointer un danger que vous reconnaîtrez facilement :
de la même manière qu'à une époque les célébrations furent vidées de leur
contenu originel pour être emplies d'un autre contenu, nous vivons une époque à
laquelle elles sont à nouveau vidées… pour rester désespérément vides. Il
suffit de voir ce que la société chrétienne a fait de la fête de Noël pour
prendre la mesure de ce retour en arrière, non pas au paganisme mais encore
bien avant, à un espèce de vide cultuel et culturel dans lequel les "fêtes
de fin d'année" perdent toute force évocatrice ou civilisatrice pour
devenir une espèce de coquille vide. Une belle coquille, dans laquelle les
lumières, les repas de famille et les cadeaux ne sont plus un moyen mais un but
en soi, pour masquer, détourner l'attention et faire penser à autre chose au
lieu d'exprimer et de répondre à cette crainte ancestrale, animale, ce
désespoir qui nous atteint tous au plus profond de l'hiver.
Il est inutile de se voiler la face : les maux qui
atteignent notre société postchrétienne nous ont déjà atteints depuis
longtemps. Dans la plupart des foyers qui fêtent encore Hanouka on ne le voit
plus que comme le "Noël juif".
Poser ce constat c'est dire une banalité que tout
le monde reconnait. Le déplorer, c'est ce que font plus ou moins tous les
responsables religieux bien qu'ils soient conscients de leur impuissance.
Chercher des solutions pour tenter de limiter les dégâts et inverser la
tendance, dans un cercle limité et restreint est la seule attitude qui soit un
tant soit peu constructive.
Autant le dire tout de suite, ne croyant pas aux
miracles en général et à celui de Hanouka en particulier, je ne possède pas de
recette magique pour faire en sorte qu'un enfant s'imprègne du sens de la fête
et de sa symbolique profonde en allumant des bougies et en avalant un beignet.
Mais je sais de façon certaine qu'il est possible d'apprendre des erreurs et
des contre-exemples pour développer pragmatiquement une façon de faire… ou de
ne pas faire.
Je vais surprendre et peut-être choquer. Même avec
les meilleures intentions du monde, on peut faire énormément de mal à un enfant
en lui offrant un cadeau. En lui donnant à croire que cela lui est dû, que même
s'il ne l'a pas mérité ses désirs doivent être exaucés et respectés à la
lettre, en alimentant la compétition avec les autres camarades (celui ou celle
qui aura le dernier modèle, le plus grand, le plus cher…) au lieu de lui
enseigner la valeur de l'échange et du partage, en lui offrant des moyens de
s'isoler et de se couper des autres plutôt que de se sociabiliser, bref, on
n'offre pas des cadeaux comme on offre des bonbons ou du chocolat. La minute de
bonheur que voyez briller dans les yeux de votre enfant ne doit pas se payer à
crédit sur le compte de son éducation, de son équilibre et de son rapport à
l'insatisfaction de ses désirs immédiats.
Je ne suis pas en train de vous dire qu'il ne faut
pas offrir de cadeaux, mais simplement que, comme chacun des actes de la vie
quotidienne dans le judaïsme, chaque cadeau doit être pensé, réfléchi et
apprécié avant d'être échangé.
Concrètement, en réfléchissant à l'organisation
d'une fête pour les enfants à Maayane Or, je refuse depuis le début que Hanouka
se résume à une distribution de cadeaux, car Hanouka n'est pas et n'a jamais
été une "fête des enfants" où le seul but serait de leur faire
plaisir. J'insiste pour que chaque Hanouka soit placé sous le signe de l'action
concrète, de l'échange, de la réflexion sur la façon d'aider et de donner plus
que sur la façon de recevoir, car recevoir tous les enfants le savent.
Est-il nécessaire de le rappeler? Hanouka en
hébreu signifie "inauguration". Un mot qui évoque une construction,
un œuvre, un long travail avant d'arriver à fêter quelque chose. Pour que
Hanouka soit réussi, il faut donc le préparer longtemps à l'avance, le
construire, le préparer, le réfléchir, la fête en elle-même n'étant que le
parachèvement d'un long processus dont le but est de faire de nos enfants non pas
des récipients prêts à recevoir toujours plus, mais des petites flammes brûlantes prêtes à éclairer et allumer d'autres flammes à leur tour.
Chabbat chalom et Hanouka sameah
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